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16 janvier 2016    /    

Florence, voyage au coeur de l’idéal-

Florence ! Son seul nom est une légende. Voici la perle de Toscane, la ville des superlatifs romantiques et des artistes qui s’évanouissent en foulant son sol, fauchés par tant de beauté et d’idéal. Promenade au milieu des merveilles de l’art et de l’histoire florentine, à la recherche du secret de ce qu’on appelle la Renaissance, et dont Florence est le sanctuaire vivant.

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Florence, vue depuis Fiesole.

Cet article s’inscrit dans une série consacrée à un voyage en Toscane en amoureux – voir ici la première partie.

Après une première nuit à Pise, et une petite heure de route, nous apercevons le toit rond du Duomo dans la lumière du matin, et l’émotion me saisit : Florence, je suis à Florence. Combien de fois ai-je vu cette cité en peinture, combien de poèmes et de récits ai-je lus à son sujet ? Elle fait partie de ces villes si souvent imaginées en songe qu’on ne sait plus bien, au moment de les découvrir enfin, où s’achève la vie et où commence le rêve.

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Vue sur Florence depuis le Duomo.

A la fin du quinzième siècle, à l’époque où les Médicis sont une des familles les plus riches et les plus influentes d’Italie, ils décident que l’art florentin devra porter l’étendard de leur puissance à travers le monde entier. Il faut que Florence devienne la nouvelle Athènes. Il faut qu’à l’image des astres les plus lumineux, elle soit cette ville soleil qui attirera irrésistiblement tout artiste à elle, et rayonnera en retour jusqu’aux confins de l’Europe. Ce qu’on appelle la Renaissance, c’est Florence qui l’a inventée, sculptant au biseau dans le marbre son propre mythe. Les peintres allemands et néerlandais, les rois de France et d’Angleterre, tous sont fascinés par cette nouvelle étoile émergée des eaux de l’Arno, posée au milieu d’un désordre de collines.

Au milieu des collines et des cyprès, le Duomo de Florence.

Au milieu des collines et des cyprès, le Duomo de Florence.

Trois siècles plus tard, les Romantiques allemands redécouvrent la Renaissance italienne, et racontent les histoires de protestants d’Allemagne du Nord qui découvrent Florence et tombent en pâmoison, se convertissent au catholicisme et rêvent de peindre comme Raphaël, de capturer Dieu dans les pigments de leur toile. Florence redevient le symbole de l’idéal, et de l’art tout entier dévoué à sa poursuite – de la quête de la beauté pure. En visitant la ville, Stendhal se sent submergé par sa beauté au point de se sentir mal, d’être pris de vertiges et de palpitations. C’est ce qu’on appellera « le syndrome de Stendhal », l’incapacité physique à supporter tant de beauté. Il paraît que Florence fait cela aux gens, et je me sens vulnérable.

Sur la piazza della Signoria.

Sur la piazza della Signoria.

Mais j’arrive à Florence la tête pleine de livres et de tableaux ; mes yeux ne sont plus vierges, tout ce que je vois de la ville se surimpose à ce que j’en sais ou crois déjà en savoir, et j’ai parfois la sensation de marcher à l’intérieur de ma propre tête, dans un musée intérieur de l’Occident. Je me serais désirée plus innocente et plus naïve, j’aurais voulu être un jeune aspirant artiste du Quattrocento, qui ne sait rien ou presque et que tant de beauté foudroie.
A vrai dire, ma « première fois » artistique, je l’ai vécue il y a dix ans, à Cologne. C’était l’été après mon bac, avant le début de mes études d’allemand. J’étais partie visiter la vallée du Rhin, les châteaux forts entre Coblence et Mayence, le rocher de la Lorelei, et le musée Wallraf-Richartz de Cologne. J’y avais découvert pour la première fois les tableaux de la Renaissance non pas italienne, mais allemande : les œuvres de Dürer, Cranach, Holbein, Grünewald, Altdorfer, ces hommes du Nord éblouis par l’art qui émerge en Toscane, et qui se l’approprient à leur manière. L’historienne de l’art Gloria Fossi explique que la différence la plus manifeste entre la peinture de la Renaissance italienne et de l’allemande, ce sont les paysages, les arrière-plans. Les Italiens se concentrent sur les visages et les corps – ce sont ces portraits qui ont défini notre vision de la beauté, ces Michel-Ange, ces Raphaël, ces Botticelli, qui continuent, un demi-millénaire plus tard, à incarner la perfection faite humanité. La Renaissance, c’est l’homme catapulté au cœur de l’univers, un nouveau Dieu fait chair, et c’est l’invention de la beauté pure. Les Allemands peignent eux aussi des visages, bien sûr – ce sont ces autoportraits saisissants de Dürer, ce sont les vierges et les Eve de Cranach, l’ambiguïté inquiétante de leurs sourires –, mais peuplent les arrière-plans, derrière leurs sujets, d’immenses paysages fantastiques, de forêts enchevêtrées, de châteaux gothiques, de panoramas immenses. C’est comme si les Allemands avaient déjà ce fantasme faustien de la totalité, et qu’ils voulaient faire de l’œuvre d’art la « goutte d’eau au bord du seau » de Klopstock : un microcosme qui reflète l’univers entier. J’ai cru voir le secret du vieux monde dans les tableaux de la Renaissance allemande, une sorte de clef magique, ce miroir qui coule dans nos livres et qui me hante. A seize ans, j’étais profondément gothique, et j’ai aimé les clairs-obscurs germaniques avant l’éclat éblouissant des œuvres italiennes. J’y reconnaissais mon fantôme.

L'Adoration des Mages, d'Albrecht Dürer, à la galerie des Offices de Florence.

L’Adoration des Mages, d’Albrecht Dürer, à la galerie des Offices de Florence.

Quelques mois plus tard, j’ai visité le Louvre, dont on dit souvent qu’il a la plus belle collection d’art de la Renaissance après la galerie des Offices florentine, et j’ai découvert la lumière du sud – comme des milliers d’autres avant moi, je suis aussi tombée amoureuse de la Renaissance italienne, ce moment rare et précieux de l’histoire de l’humanité. Le plus beau livre qu’il m’a été donné de lire sur le siècle de Florence est Le rêve Botticelli, de Sophie Chauveau. Si vous aussi, vous rêvez de communier avec tous les artistes et les jeunes exaltés dans l’amour de la Renaissance italienne, je vous conseille de lire ce livre, puis de faire un tour au Louvre.

Le tableau le plus célèbre de la galerie des Offices, la Naissance de Vénus, par Sandro Botticelli.

Le tableau le plus célèbre de la galerie des Offices, la Naissance de Vénus, par Sandro Botticelli.

Ma visite à la galerie des Offices de Florence, je l’attendais donc depuis dix ans. Je savais ce que je rêvais d’y voir. Cimabue, Le Pérugin, Mantegna, Giorgione, Raphaël, De Vinci, Lippi et la douceur de sa Madonne à l’enfant, Caravage et sa terrifiante Méduse, la sulfureuse Vénus d’Urbin de Titien. Et Botticelli, Botticelli avant tout, la Vierge à la Grenade, avec la délicatesse des pages tenant des fleurs autour de la Madonne, la Naissance de Vénus, symbole de beauté parfaite et emblème de la Renaissance italienne depuis un demi-millénaire, mais aussi sa Judith angélique et assassine, son énigmatique Portrait d’un homme, tenant une médaille dorée aux abords ésotériques, son Adoration des Mages, et Pallas et le Centaure, dont la tonalité fantasmagorique m’a toujours séduite. Je rêvais de ma rencontre avec Botticelli comme d’une entrevue amoureuse.

Pallas et le Centaure, Botticelli.

Pallas et le Centaure, Botticelli.

Mais je l’aurais appris à mes dépens : il ne faut pas venir en Toscane en septembre, comme nous l’avons fait. Il faut la voir en novembre, quand l’automne éblouit la campagne, mélange d’ors et de brumes, que les rues sont vidées de la cacophonie estivale, que le calme revient. Les rues de Florence sont littéralement assaillies par des groupes touristes chinois qui se comportent comme le troupeau de gnous du Roi lion, lancés à pleine vitesse dans le défilé et piétinant Mufasa sous leurs sabots aveugles. Leur guide brandit le porte-drapeau comme une lance et fonce dans la foule en écrasant tout sur son passage, comme une armée de conquête. A la Galerie des Offices et à la Galerie de l’Académie – les deux musées emblématiques de Florence –, les œuvres sont férocement gardées par des troupes compactes de gens hurlants et gesticulants, et je me demande par quel miracle les statues survivent à ce siège. Nous fuyons le musée, dépités, épuisés, tellement déçus. Je reviendrai à Florence au cœur de l’hiver, et je passerai des heures en tête à tête avec Botticelli, sans que quiconque puisse me réserver le funeste destin qui échoit à Mufasa.

Vue sur l'Arno. Derrière moi, le Ponte Vecchio, tellement bondé et pris d'assaut que j'ai préféré me retourner et prendre cet autre pont, bien moins iconique, mais plus désert...

Vue sur l’Arno. Derrière moi, le Ponte Vecchio, tellement bondé et pris d’assaut que j’ai préféré me retourner et prendre cet autre pont, bien moins iconique, mais plus désert…

Les églises sont à peine plus calmes. Il nous faut bien sûr voir l’emblématique Duomo de Florence, la cathédrale Santa Maria del Fiore, dont la coupole dessinée par Brunelleschi au début du quinzième siècle, cet octogone monumental, représente une prouesse architecturale inédite. De complexes calculs de forces, dont la subtilité mathématique m’échappe, et des techniques novatrices – la disposition en « arête de poisson » – a permis de concevoir une structure autoportante, qui semble crier au monde que rien n’arrêtera le génie florentin, pas même la gravité. En montant dans la coupole pour apprécier la vue sur Florence, la cohue est indescriptible, et je crains le mouvement de foule qui nous étouffera tous, étant donné que l’entrée et la sortie se font par le même boyau étroit et escarpé. Mais le panorama est époustouflant – les tours, les dômes et les toits miroitants de la perle sur l’Arno s’offrent à nos yeux, et je mesure à chaque instant combien Florence est belle.

Coupole du Duomo.

Coupole du Duomo.

 

Vue depuis le dome.

Vue depuis le dome.

 

Au pied de la cathédrale.

Au pied de la cathédrale.

 

Façade de la cathédrale.

Façade de la cathédrale.

Nous trouverons plus de tranquillité dans l’église Santa Maria Novella. Je suis fascinée par la Trinité de Masaccio, peinte dans les années 1425, et déjà si profondément moderne – usage de la perspective, pas de disproportion à la mode byzantine entre les personnages selon leur rang, réalisme humaniste. Je repense à ce que je m’étais dit à Pise, au Campo Santo : la démarcation entre Moyen-Âge et Renaissance n’existe pas, ce sont deux fleuves qui mêlent leurs eaux, et continuent de cheminer vers le même océan du génie universel.

Santa Maria Novella.

Santa Maria Novella.

 

Trinité de Masaccio, à Santa Maria Novella.

Trinité de Masaccio, à Santa Maria Novella.

Dans l’église Santa Maria Novella toujours, je suis frappée par la Chapelle des Espagnols, bâtie et décorée par Andrea di Boniaiuto (dit aussi Andrea da Firenze) à la gloire de l’ordre des Dominicains, les « chiens de Dieu », qui sont parvenus à amender dans leur sens les dogmes de l’église. Le plus grand théologien médiéval, Saint Thomas d’Aquin, est dominicain, est entre dans le cercle très fermé des pères de l’église, un millénaire après les fondateurs. Plus que jamais lors de ce voyage en Toscane, la construction historique de l’Eglise, les luttes et triomphes idéologiques me deviennent tangibles – l’art et l’architecture des églises de Toscane en sont la chronique, l’épopée de la foi et du pouvoir. Mais ce qui me marque le plus n’est ici pas d’ordre théologique. Dans la Chapelle des Espagnols, je suis captivée par la fresque de l’église militante et de l’église triomphante, peinte par Andrea di Bonaiuto a été peinte autour de 1365. Que voit-on aux côtés des saints, docteurs de l’église, papes et autres figures éminemment saintes ? Boccace, Dante, Pétrarque, les trois immenses poètes médiévaux italiens, ceux qui ont inventé le roman et le sonnet, et ouvert la voie à toute la poésie de la Renaissance, qui s’est targuée d’être la littérature triomphante de la nouvelle ère. Et à leurs côtés, sur cette fresque si théologique, si dogmatique, les femmes qu’ils ont aimées et adulées, les muses de la littérature courtoise : Fiammetta, Béatrice, Laura. Dans une chapelle à la gloire de l’ordre dominicain et du canon chrétien, sur une fresque peinte au quatorzième siècle, on trouve trois poètes profanes et leurs amantes idéales. La glorification de l’art, l’élévation du profane au même niveau que le sacré, l’entrée de la vie dans la peinture, un siècle déjà avant ce qu’on appelle la Renaissance, voilà ce que me dit cette fresque magnifique. Qu’est-ce que je regrette soudain de ne pas avoir étudié l’histoire de l’art ! Elle est le meilleur antidote contre les découpages et les classifications hâtives, contre les simplifications qui insultent la beauté et la complexité du monde.

Fresque d'Andrea da Firenze. En bas, à droite, Laure, Béatrice et Fiametta, les muses de Pétrarque, Dante et Boccace.

Fresque d’Andrea da Firenze. En bas, à droite, Laure, Béatrice et Fiammetta, les muses de Pétrarque, Dante et Boccace.

 

Statue de Pétrarque devant la galerie de l'Académie.

Statue de Pétrarque devant la galerie de l’Académie.

 

Cloître de Santa Maria Novella.

Cloître de Santa Maria Novella.

Je retrouve Dante, l’immense poète toscan mort en 1321, à la basilique Santa Croce, qui est en quelque sorte le panthéon florentin. Le cénotaphe de Dante est vide – son corps est à Ravenne –, mais nombre d’autres illustres personnalités florentines y reposent, dont Galilée, Machiavel et Rossini. En bas des marches du parvis trône un monument à la gloire du poète : A Dante, l’Italie reconnaissante. Cette perpétuelle collusion du sacré et du profane conspire à la gloire conjuguée de la Toscane ; elle révèle qu’on sert Dieu en louant les œuvres de ses créatures… et inversement.

La basilique Santa Croce de Florence, avec le monument à Dante.

La basilique Santa Croce de Florence, avec le monument à Dante.

A Santa Croce, je tombe en arrêt devant le crucifix de Cimabue, peint en 1265. J’ai longtemps cru à l’opposition simpliste entre catholiques et protestants, à Luther qui associe au catholicisme trop amoureux du monde le Christ triomphant de la résurrection, peint comme un prince byzantin venu régenter un monde d’or et de lumière, et lui préfère le Christ souffrant de la passion, se sacrifiant pour les hommes qu’il aime. Luther attribue au catholicisme le premier, la theologia gloriae, et au protestantisme le second, la theologia crucis. Mais déjà les Franciscains avaient mis au cœur de la dévotion chrétienne le Christ en croix, et l’imitatio des supplices qu’il subit par amour, déjà la devotio moderna avait développé ce dolorisme ancré dans la vie quotidienne et la quête de sainteté ici-bas. J’en viens à me demander ce qui se serait passé si le pape d’alors (un Médicis) avait manœuvré plus habilement et choisi de ne pas excommunier Luther – est ce que le protestantisme se serait fondu dans le grand corps Eglise comme tous les mouvements qui sont venus s’y agréger après s’être singularisés, mystiques rhénans, bénignes, franciscains et autres extatiques ? Ou est- ce que, faute de frapper d’un grand coup tonitruant sur la table, Luther aurait fini sur le bûcher comme Jan Hus ? Est-ce que, comme le pense Thomas Mann, la réforme était inévitable, car elle était une affaire politique, et non religieuse, un soulèvement de l’Allemagne contre la papauté devenue puissance étrangère occupante ? L’histoire de l’art murmure des histoires alternatives, sinueuses, des continuités secrètes et des échos bruissants. Je l’étudie en autodidacte, depuis ce jour où j’ai découvert la peinture du quinzième siècle, au musée de Cologne – j’avais dix-huit ans et j’ai eu l’impression soudain de comprendre. C’était ce jour-là mon illumination. Tout faisait sens, la clef de l’histoire était dans l’art, dans la matière opaque de ces visages vivants depuis des siècles, denses comme la chair, infiniment plus épais et secrets que l’unidimensionnalité des photos.

A l'intérieur de la basilique Santa Croce.

A l’intérieur de la basilique Santa Croce.

Je continue à lire l’histoire de Florence, et le destin incroyable des Médicis. Cette famille venue des campagnes vient s’installer au cœur de la cité au treizième siècle, pour profiter d’une période de croissance économique. Elle devient, comme les Fugger à Augsbourg et plus encore, souveraine sur cette ville d’empire libre où le capitalisme est florissant, et où l’argent peut acheter ce que la naissance ne confère pas. Cette famille inventera la Renaissance, affichera sa morgue étincelante de ville riche et libertine à la face de la Curie, puis donnera trois papes, renforcera l’inquisition puis offrira sa protection à Galilée, avant que la décadence ne la consume. Après avoir défié la papauté, elle devient la papauté. Florence, c’est l’intrication du sacré et du profane au service de la gloire éternelle, et les Médicis l’incarnent mieux que personne. Car je comprends maintenant : la Renaissance, c’est le plus fabuleux coup marketing de l’histoire de l’humanité. C’est une invention de Laurent de Médicis, qui veut que le monde des arts célèbre sa puissance et sa gloire, son affranchissement de tous les codes moraux et hiérarchiques de l’époque, qui veut que Florence devienne l’Athènes de la nouvelle ère, et qui proclame qu’une aube nouvelle descend sur le monde. Laurent de Médicis finance le génie des plus grands artistes de son époque afin qu’ils propagent l’évangile : venez à Florence, et si vous êtes beau et jeune et que vous avez du talent, les Médicis vous protègeront, vous paieront pour révolutionner l’art, et pardonneront toutes vos débauches.

La plus célèbre place de Florence, Piazza della Signoria.

La plus célèbre place de Florence, Piazza della Signoria.

Je suis fascinée par l’histoire du David de Michel-Ange, probablement la statue la plus célèbre du monde, qui trône aujourd’hui à la Galerie de l’Académie (et sa copie sur la Piazza della Signoria, devant le palazzo Vecchio. Laurent de Médicis meurt en 1492, au crépuscule d’un Quatrocento flamboyant qui aura signifié la Renaissance des arts, et au moment où la découverte du Nouveau Monde fait basculer l’Europe vers l’Atlantique. De nombreuses forces florentines tentent de rétablir la république que Laurent avait vidée de sa substance, et dans ce court intermède entre deux Médicis monte le nom mystérieux et étrange de Savonarole. Qui est Savonarole ? Un moine. Un moine qui ne cherche pas le pouvoir, si ce n’est par la parole. Cœur ardent, langue de feu, il prêche et il harangue, il dénonce la corruption et la débauche dans laquelle la ville a sombré. Il accuse les florentins de s’être perdus dans l’ivresse du pouvoir et de la richesse, d’être oisifs, libertins, corrompus. Sur la Piazza della Signoria, il allume un grand brasier qui brûle nuit et jour, et qu’on appellera le bûcher des vanités. Au coeur du coeur de Florence, le feu crépite, et Savonarole appelle les habitants à venir y jeter tout ce qui les détourne de l’éternel, objets de luxe, bijoux, tableaux obscènes, œuvres licencieuses. On verra des dames de l’aristocratie transies par la parole de Savonarole venir de leur plein gré jeter leurs colliers aux flammes, on verra Botticelli lui-même immoler des chefs d’œuvre inestimables, les nus, les scènes légères. Puis le vent tourne, la puissance de Savonarole inquiète. Savonarole brûle à son tour sur le feu qu’il a allumé, au terme d’un procès inique que dénonce une médaille commémorative, sur le pavé de la place – car Savonarole n’avait fomenté aucun complot, ne manigançait aucune sédition, il était juste un Calvin avant l’heure, un moine enragé de vertu à la parole incendiaire.

A la Pensione Bencista, où nous dormons je prends mon petit déjeuner sur un plateau représentant l’exécution publique de Savonarole, par un peintre anonyme du XVIe siècle. La tarte tatin tombe sur l’incendie. Etrange.

A la Pensione Bencista, où nous dormons, je prends mon petit déjeuner sur un plateau représentant l’exécution publique de Savonarole, par un peintre anonyme du XVIe siècle. La tarte tatin tombe sur l’incendie. Etrange.

Savonarole mort, Florence l’indomptable redresse la tête, et on charge le jeune Michel-Ange de sculpter un bloc de marbre monumental, mais rebelle, présentant des difficultés techniques quasi insurmontables, et qui a mis en échec déjà deux sculpteurs chevronnés. Michel-Ange, lui, triomphe du marbre rétif, transforme ses défauts en atouts, et il sculpte ce David fabuleux, ce corps puissant, bandé comme un arc, ce regard inimitable, qui surpasse toutes les statues de l’art antique. Regard de fauve, de guerrier, de roi du monde, corps jeune et invaincu. Un comité d’artistes se réunit. Il compte Léonard de Vinci, Botticelli, Pérugin, Lippi ; il faut les imaginer, cette réunion de génies à qui on a donné les clefs de la cité, cette artisto-cratie que Platon n’aurait jamais pu deviner, il faut imaginer ce comité pour comprendre la spécificité hallucinante de la Florence de 1500. Le comité des demi-dieux décide de faire trôner David devant le Palazzo Vecchio. Là où on a brûlé Savonarole, on place ce David nu, magnifique, sculpté par un homme ouvertement homosexuel, poète, peintre, sculpteur, libre jusqu’à l’insolence. C’est l’homme nouveau qu’on ne déboulonnera plus. Le triomphe de l’individu. L’ère des rois a commencé, de la constitution des états, des richesses accumulées, de l’égoïsme créateur, l’ère des absolutistes et des ors débordants. 1492-1789, les trois siècles mégalomanes, l’Europe qui met l’univers à genoux, les rois devenus Dieux. La Renaissance, c’est la beauté qui a changé le monde, dit une exposition au Palazzo Vecchio, mais c’est aussi le triomphe du moi, la soif de pouvoir, d’infini et de sang. La Vénus de Botticelli et le David de Michel-Ange : la nouvelle humanité est née à Florence, pour le meilleur et pour le pire.

Le David de Michel-Ange (copie placée devant le Palazzo Vecchio. L'original est à la Galerie de l'Académie.)

Le David de Michel-Ange (copie placée devant le Palazzo Vecchio. L’original est à la Galerie de l’Académie.)

Nous dormons à la Pensione Bencista, à Fiesole, sur les hauteurs au-dessus de Florence – une vue de prince. J’ai rarement vu un endroit aussi charmant. Glycines noueuses, oliviers, tableaux anciens, couverts en argent, et un crépuscule et un jacuzzi sur Florence, c’est une idylle toscane accomplie.

Crépuscule dans les jardins avec vue sur Florence, à Fiesole.

Crépuscule dans les jardins avec vue sur Florence, à Fiesole.

 

Jardin de la Pensione Bencista.

Jardin de la Pensione Bencista.

 

Jaccuzzi au milieu des oliviers et avec vue sur Florence...

Jaccuzzi au milieu des oliviers et avec vue sur Florence…

Je lis que la famille Bencista a acheté la maison des mains du fils d’Arnold Böcklin : l’immense peintre suisse est venu finir sa vie ici, et y est mort en 1901.La rue devant le couvent San Domenico porte son nom. C’est inspiré par la Toscane qu’il a peint l’Île des morts, cette œuvre qui me fascine infiniment depuis des années. On y voit une île forteresse, entourée de cyprès, symbole du deuil depuis les Métamorphoses d’Ovide dans la culture latine, à laquelle aborde une barque fantomatique, que surplombe une figure vêtue de blanc.

Île des morts d'Arnold Böcklin, version de Leipzig (1886).

Île des morts d’Arnold Böcklin, version de Leipzig (1886).

Toute la Toscane me fait penser à Böcklin. C’est une île des morts démultipliée, un mausolée magnifique de la grandeur du continent. Demain, nous partons explorer la vallée du Chianti – le pays de ces fameux cyprès noirs, ou la Toscane des cartes postales.

A suivre…

Crépuscule florentin.

Crépuscule florentin.

Trois livres que j’ai aimés sur Florence, la Toscane et ses grandes figures :

Le rêve Botticelli, de Sophie Chauveau.
The rise and fall of the house of Medici, de Christopher Hibbert 
Dante, de Barbara Reynolds, 

Site officiel du tourisme florentin 

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2 commentaires pour
“Florence, voyage au coeur de l’idéal”

  • Voilà une ville que j’adore, nous y sommes passés 2 fois, mais à chaque fois c’est l’émerveillement. Une vrai ville musée. On peut y passer une semaine, sans avoir l’impression d’avoir tout vu. Je n’avais pas de grand angle à l’époque, car pour arriver à prendre toute la cathédrale, ce n’est pas évident, elle est gigantesque. Une vraie merveille à l’intérieure, comme à l’extérieure. J’ai fait la même photo que toi de Florence, vue de Fiesole, au printemps dernier, je trouve que c’est le meilleur endroit pour la prendre en photo. Pour vraiment en profiter, il ne faut pas y aller l’été, car c’est le véritable bain de foule ! Merci pour tes belles photos, cela me rappelle de bons souvenirs ! A bientôt. Martine

  • Merci Martine, je suis absolument d’accord avec toi. Fiesole, quel endroit enchanteur ! Et oui, l’été c’est terrible. J’y suis allée en septembre et c’était encore la cata. J’aurais voulu y aller en novembre ou même en janvier.

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