L’île de Port-Cros, le bonheur à portée de main-
J’ai toujours passionnément aimé la Côte d’Azur, mais j’ai attendu vingt-cinq ans avant de découvrir le plus parfait de ses paradis : Port-Cros, l’île sauvage, le fantasme absolu du Robinson moderne. Avec ses visions de bout du monde, Port-Cros est un rêve à portée de bateau, à quarante minutes à peine du port de Hyères. Voyage dans la plus secrète des îles d’or.
On a mille raisons de revenir à Hyères, ce grand boulevard rieur de la côte d’Azur, avec ses centaines et centaines de palmiers. Elle est la porte vers l’Estagnol et le Lavandou, le seuil vers les azurs éblouissants. Sur les deux tombolos de la presqu’île de Giens, elle dévoile des plages aux airs de lagon tropical, en transparence et sans profondeur, des idylles blanches et horizontales à l’infini – certes prises d’assaut l’été, contrairement à Port-Cros la sauvage, la déserte.
Au jardin d’acclimatation, toute la flore de la Méditerranée est réunie, une véritable synthèse de ses multiples rives. J’aime y retrouver les cactus qui brandissent leurs petits poings sur les bas-côtés, les agaves froissées aux airs d’Ursula échouée sur la rive, mais qui fleurissent en feu d’artifice, projetant leurs hampes plusieurs mètres au-dessus de ce désordre de tentacules immense, pour une explosion de jaune radieux.
J’aime y retrouver les merveilleuses ipomées bleues et violettes qui couvrent les façades, les badlands et les à-pics, les jacarandas exquis, et cette plante que j’associerai toujours aux Antilles et aux Caraïbes, aux lointains fantasmagoriques de ma petite enfance, le bougainvilliers, avalanche de fuchsia hypnotique. Au-dessus de la presqu’île de Giens se dresse Notre Dame de la Consolation, une chapelle moderne, fuselée dans des teintes de blanc et de bleu très clairs par Lambert-Rucki, et cette étrange alliance de la modernité et de la pastorale est infiniment séduisante.
Et surtout, Hyères est la porte des ailleurs insulaires. Depuis Giens, on embarque vers les mirifiques îles d’or, Porquerolles, la plus grande et la plus célèbre, le Levant, la naturiste, et la plus belle, la plus chavirante, Port-Cros.
Port-Cros fut ma révélation de l’été 2015, et j’en suis tombée éperdument amoureuse. J’avais aimé Porquerolles, et je ne pensais pas Port-Cros digne de l’éclipser.
Le charme de cette île secrète et escarpée est indescriptible, et il opère dès l’arrivée dans le port minuscule tout de rouge et de jaune, surmonté par un fort épais qui rappelle l’histoire tumultueuse des trois Iles d’Or d’Hyères – Porquerolles, Port-Cros et Le Levant.
Découvertes par les marins grecs, les îles furent le sanctuaire de moines cultivateurs, avant d’être abandonnées aux tumultes des âges obscurs et de devenir un repaire de pirates et de malfrats, véritables Tortugas de la Méditerranée, coupe-gorges d’où s’élançaient une nuée de meurtriers et de pilleurs à l’assaut des navires qui voulaient rejoindre Hyères ou Toulon. La population littorale excédée appela à l’aide les rois, et Richelieu puis Louis XIV firent édifier ces forts qui jalonnent leurs côtes, épaisses murailles aux sommets de ces falaises ravinées qui dessinent des paysages d’une beauté surnaturelle.
Il faut recourir aux clichés pour raconter Port-Cros, il faut parler d’éden, de paradis perdus, de Robinson Crusoé, d’idylle insulaire – chaque vue donne envie d’enterrer ses pieds dans le sable et prendre racine ici pour toujours. Parc national depuis 1963, réserve de faune aviaire incroyablement sauvage et intacte, refuge des derniers grands herbiers de posidonie, pointe occidentale du sanctuaire marin Pelagos, où vivent baleines et dauphins, Port-Cros donne l’illusion d’être le premier homme. Nous sommes mi-juillet, et nous randonnons pendant trois heures sans voir âme qui vive. Le statut de Port-Cros est unique en son genre ; si les îles adjacentes de Bagaud et de la Gabinière sont des réserves intégrales, Port-Cros est accessible au public, dans la stricte limite des trois bateaux qui y viennent chaque jour. Voitures, chiens, vélos et surtout flammes y sont strictement interdits, une cigarette coûte cent-trente-cinq euros d’amende ; toute l’île est un tapis d’aiguilles sèches, forêt méditerranéenne dans son état le plus naturel, si ce n’est les indispensables débroussaillages opérés par le personnel du parc. Plus d’une centaine d’espèces aviaires nichent ici, notamment le puffin yelkouan – yelkouan, en turc « âme en peine », pour ses cris éplorés – qui ne pond qu’un œuf par an.
L’histoire de la conservation me fait secouer la tête : je suis toujours consternée par la haine aveugle que les scientifiques ont des chats – combien de fois ai-je lu des histoires de biologistes qui capturent et exécutent des chats, au nom d’une espèce de fanatisme anti-prédateur qui, à Port-Cros, s’est retourné violemment contre eux. L’histoire est édifiante. A Port-Cros vivaient des chats sauvages, jusqu’à ce que dans leur zèle protectionniste, les conservateurs décident de les éradiquer. Aussitôt que les chats eurent disparu, la population d’oiseaux se mit à souffrir terriblement et à diminuer – les chats prélevaient peut-être un oiseau de temps en temps, mais ils ne pouvaient pas accéder aux nids à flanc de falaise, et supprimaient un prédateur bien pire encore : les rats. Depuis le départ des chats, l’île est envahie de rats énormes qui, eux, ne sont pas mis en échec par les hauteurs les plus vertigineuses, vont dans les nids et dévorent l’unique œuf du puffin yelkouan, et toutes les couvaisons des dizaines d’espèces qui se réfugient ici. Les rats sont en train de tuer la réserve, donc on rivalise de pièges et d’astuces pour se débarrasser de cette plaie qu’on a libérée de son prédateur naturel le plus efficace, le chat. Qui viendra manger l’herbe-aux-chats qui pousse partout sur l’île ?
Après l’ascension d’une longue côte, on conquiert le droit de découvrir au fort de la Vigie l’histoire littéraire de Port-Cros. Elle dit son irrésistible attraction sur des foules de poètes vagabonds et dandys, qui cherchent des paradis perdus en hiver sur la côte d’Azur, et qui abordent à ces îles si lointaines et si proches. L’éblouissement leur inspire recueils de poèmes et romans sur la fascination inextinguible des îles ; les titres me donnent envie de tous les lire au sommet d’une falaise abrupte, à l’ombre d’un pin parasol – L’île fée, L’âge où on croit aux îles…
A la fin du 19e siècle, Charles-Albert Costa de Beauregard, membre de l’Académie française, invite ses amis immortels à venir jouer aux Robinson ; au début du 20e, le directeur de la NRF, Jean Paulhan, vit au fort de la Vigie, Jules Supervielle s’installe au fort du Moulin ; Malraux, Valéry, Gide, Saint-John Perse viennent sans cesse jeter l’ancre ; les anglais se prennent de passion pour l’île, D.H. Lawrence y séjourne, ainsi que Vivienne de Watteville, l’aventurière qui a découvert les Vivienne Falls kenyanes.
Tous vivent dans une atmosphère très flower power avant l’heure, bohémienne et libre, comme Marceline Henry, qui quitte son sous-préfet de mari pour fuir vers Port-Cros avec le poète Claude Balyne, avant d’inviter son mari à les y rejoindre – pas rancunier, le serviteur de l’état s’établira sur l’île, et y construira un très beau manoir. On le comprend quand on emprunte la route des crêtes, sans croiser âme qui vive en plein mois de juillet, pour une série de foudroiements esthétiques ; criques perdues, camaïeu de turquoise, de blanc et de ciel, pins torturés arrachés à la roche, à pics vertigineux, concert assourdissant des cigales.
A chaque détour de la route se dessine un réseau d’îles comme on n’en voit que sur les cartes au trésor, un territoire de forbans et de pirates, tracé à l’encre noire sur des parchemins. Je repense à la mauvaise réputation des îles d’or au dix-septième, leur aura de stupre, de brigandage et d’alcool : c’est un décor de films d’aventures, que l’imagination peuple aisément de galions échoués, de coffres du mort et de squelettes suppliciés. Mais aucun fantôme ne trouble la quiétude – les cris plaintifs du puffin yelkouan sont les seuls à hanter les hautes falaises de calcaire.
Sur la plage du sud, l’eau est si claire, si chaude, que toute la baie se change en un gigantesque bain. Les fonds transparents grouillent de poissons sans méfiance qui viennent nous frôler. Ici toute femme devient sirène.
Je quitte Port-Cros à regret, j’aurais voulu rester dormir dans le port rouge et jaune coiffé de palmiers et de fleurs d’agave, rester encore dans ce morceau d’idylle fait terre, comme Vivienne, comme Marceline. Un hôtel surplombe cette petite crique colorée – je reviendrai, c’est certain, et je verrai le lever du jour sur Port-Cros.
Un autre paradis sur la Côte d’Azur : découvrez Le Lavandou sur Itinera Magica.
Pour en savoir plus : Office du tourisme de Hyères.
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le 25 février, 2016 à 19 h 29 min a dit :
Looks like a paradise 🙂
le 26 février, 2016 à 20 h 16 min a dit :
Thank you! I think it’s the most beautiful island on the French riviera – truly a secluded, wild, exceptional place…
le 1 mars, 2016 à 9 h 36 min a dit :
Et voilà, je l’ai enfin lu ! 😀 Ce n’est pas la première fois que j’entend parler et vois des images de Port-Cros, et je me dis que c’est si près qu’un jour, il faudrait peut-être qu’on aille y faire un tour ! Surtout si l’île regorge d’oiseaux, une perspective qui plaira beaucoup à Vincent ;).
J’ai été surprise par l’histoire sur les chats ! Comme quoi l’homme, même dans le but de protéger, arrive à détruire l’équilibre de la nature… :/
Tes photos sont très jolies, les couleurs sont incroyables ! Ma préférée est celle du village de Port-Cros, avec le sentier jaune et la barrière !
Bonne journée, à bientôt!
le 3 mars, 2016 à 10 h 43 min a dit :
Merci beaucoup ! (Confession : ce sont des photos prises au téléphone portable… Ce jour là, mon Canon chéri a eu un bug système qui a nécessité l’envoi au SAV, j’étais désespérée, mais nous avions prévu depuis dix jours d’aller à Port-Cros, nous avons décidé de ne pas renoncer malgré tout, quitte à revenir un autre jour pour faire des photos. J’ai pris des photos quand même, avec mon Iphone et avec le Samsung de Marcel, et j’ai été très agréablement surprise. Les couleurs de l’eau étaient fabuleuses et les images ont su les rendre, comme quoi, la vraie beauté sait s’inscrire sur n’importe quel support ! Passe une belle journée, à très vite.
le 3 mars, 2016 à 20 h 24 min a dit :
Comme quoi, ce n’est pas les outils qui font l’ouvrier 😉 Tu t’en es très bien sortie, même avec un portable !
le 3 mars, 2016 à 20 h 36 min a dit :
Merci beaucoup ! 🙂
le 23 octobre, 2016 à 9 h 04 min a dit :
Bonne nouvelle il y a un hôtel! ça sent le weekend en amoureux cette histoire :p Si tu prends la traversée aller-retour, c’est possible de faire l’aller un jour et le retour un autre ou il faut prendre les billets séparément?
le 26 octobre, 2016 à 21 h 43 min a dit :
Oui c’est totalement possible ! Il y a plusieurs hôtels :
– Le Manoir, un rêve, l’hôtel romantique par excellence, qui a un charme fou – mais bien sûr, les prix sont en conséquence
– l’Hôstellerie provençale, plus abordable, moins renversant certes
– des chambres d’hôte
En saison, c’est prix d’assaut, mais mai/début juin, septembre sont un bon plan pour un week end follement romantique. Pas de souci pour les billets.
le 21 mars, 2017 à 12 h 48 min a dit :
[…] pouvez aussi découvrir mes articles sur Porquerolles et Port-Cros. Dans les prochains articles, je continuerai à vous parler d’Hyères et de ses îles, de tout […]
le 10 juin, 2017 à 17 h 44 min a dit :
bonjour je souhaiterais utiliser vos photos pour une publication facebook
s il vous plait
Nicolas TLV TVM
le 15 septembre, 2017 à 7 h 05 min a dit :
[…] Port-Cros est un joyau sauvage. Moins fréquentée, plus secrète que Porquerolles, elle est aussi la plus préservée. Des puffins nichent sur les falaises abruptes de la Route des crêtes, des poissons curieux environnent le baigneur à la plage du Sud, et le dédale de ses chemins épineux est un puits de biodiversité. Les forts ont conservé l’âme des écrivains qui sont venus ici chanter l’âme de « l’île fée ». Une réglementation sévère (pas de vélos, de feu, de voitures, de pêche, de chiens…) a su conserver un fragment de Méditerranée éternelle, semblable à ce qu’elle fut il y a cent ou mille ans. […]
le 27 juin, 2019 à 21 h 16 min a dit :
[…] par un sortilège : Porquerolles la blonde, où on trouve les plus belles plages de France, Port-Cros l’épineuse et sauvage, intégralement préservée et furieusement littéraire, et Le Levant la […]
le 27 avril, 2020 à 0 h 13 min a dit :
[…] à Port-Cros, sa plage du Sud est un véritable aquarium à ciel […]
le 3 août, 2022 à 1 h 01 min a dit :
[…] leur blondeur au sable doré, et le bleu de leurs yeux à l’eau des criques… Porquerolles, Port-Cros et Le Levant restèrent en mer, formant les îles d’or, quant à Giens, elle tendit ses deux bras […]