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19 octobre 2015    /    

Saumur, roses et fantômes sur les bords de la Loire-

Chaque fois que je viens dans la vallée de la Loire, je me sens transportée vers des temps très anciens et très doux. Les roseraies redisent le nom de Ronsard, et la « douceur angevine », la lumière de perle et les miroitements du fleuve, font venir Du Bellay aux lèvres.

Saumur se reflétant dans les eaux de la Loire.

Saumur se reflétant dans les eaux de la Loire.

C’est un paysage littéraire, une forêt de citations – je pense à Eugénie Grandet se morfondant parmi les peupliers le long du fleuve, j’imagine Madame de Mortsauf, la belle et pieuse héroïne du Lys dans la vallée, attendant au sommet de chacune de ces tours construites sous le règne de François Ier, toutes de tuffeau clair et d’ardoise bleutée. Quant au château de Saumur, il évoque à tous les très riches heures du duc de Berry, le chapelet d’images pieuses, vécues au rythme des cloches et des saisons, des temps où on rêvait d’enclore l’univers entier dans son jardin.

Le château de Saumur, tel que représenté par les Très riches heures du duc de Berry, au XVe siècle. Source : Wikipedia Commons.

Le château de Saumur, tel que représenté par les Très riches heures du duc de Berry, au XVe siècle. Source : Wikipedia Commons.

Le val de Loire respire une mélancolie très douce et très tendre ; cela tient peut-être au climat, effectivement bien moins tranché qu’à Paris, à ces brouillards légers comme des voiles jouant avec le soleil, à ces crachins caressants qui flattent toutes sortes de fleurs. Je pense à la Fantaisie de Nerval, à cet « air très vieux » que convoque la rêverie sur les temps enfuis, et à la dame « à sa haute fenêtre, en ses habits anciens, que dans une autre existence peut-être, j’ai déjà vue… et dont je me souviens ». La dame est ici une belle courtisée par Ronsard, ou une héroïne romantique au cœur mordu par des passions tumultueuses. Peut-être que son château a été restauré par Viollet-le-Duc, au dix-neuvième, habillé de gargouilles, de dragons et de fantasmagories minérales, peut-être qu’il ressemble désormais à une estampe de Gustave Doré.

Jardins du château de Brézé

Jardins du château de Brézé

Cette ribambelle de châteaux le long du fleuve – soixante-douze châteaux Renaissance, de Nantes à Orléans–, corsetés de hautes tourelles, reflétés par la Loire grise, dans une lumière changeante, est belle comme un roman.

Vue sur Saumur depuis le château

Vue sur Saumur depuis le château

Je descends du train à Angers, et la route touristique des bords de Loire, entre Angers et Saumur, est un ravissement : le tracé suit la levée érigée au-dessus du lit du fleuve, large et sablonneux, et je ne trouve jamais la lumière aussi belle que quand l’eau vivante la multiplie. En contrebas de la route, tout contre la levée, se serrent des maisons très anciennes, aux toits d’ardoise, aux pignons élégants, aux fenêtres à meneaux ; le long des berges, le lit second du fleuve est couvert d’herbe épaisse et d’arbres au moins centenaires. Sur les collines, on devine de temps à autre les tours d’un château qui surplombe la vallée : c’est un paysage de contes de fées.

Les vignes qui entourent le château de Brézé

Les vignes qui entourent le château de Brézé

Cette pierre blanche dont on fait les châteaux, c’est le tuffeau, abondant dans la région ; on creuse les falaises de roche tendre pour en extraire le précieux matériau, et crée ainsi des cavités qui deviennent, depuis le Moyen-Âge, des habitations troglodytes. Nous déjeunons aux Caves de Marson, restaurant troglodyte qui m’évoque des images du Seigneur des Anneaux, de maison de hobbit nichée dans une colline recouverte d’herbe et surmontée d’une cheminée qui fume, tout ceci est pittoresque à mourir. Je découvre le Layon, le vin blanc sucré et liquoreux du val de Loire, et la fouée, le petit pain chaud qu’on garnit.

Restaurant troglodyte des Caves de Marson

Restaurant troglodyte des Caves de Marson

L'ambiance feutrée des Caves de Marson

L’ambiance feutrée des Caves de Marson

Au château de Brézé, le monde troglodyte prend une nouvelle dimension. Brézé est un « château sous un château » : en dessous de l’élégante construction Renaissance, se cache une véritable forteresse souterraine, un dédale de puits et de couloirs profonds, qu’on arpente dans une pénombre angoissante avec l’impression de descendre au fonds de la terre. Les douves sont profondes, plus de dix-huit mètres de profondeur, hérissées de pont-levis, de tours et de chemins de ronde, et au fond de celles-ci s’ouvrent des bouches vers le monde d’en dessous. C’est le monde de la paranoïa et de la guerre sans relâche : ce complexe militaire loin des rayons du soleil est si étendu, si profond et complexe, et déploie tant de stratagèmes pour se prémunir contre des dangers si multiples et terribles, qu’on en vient à se demander s’ils redoutaient d’être attaqués par des hommes, ou par des dragons. Le contraste est saisissant : sous les galeries claires du château Renaissance, les roses et les vignes, se déploie un monde obscur et fantasmatique, en guerre permanente, et qui craint que chaque nuit soit la dernière.

Douves du château de Brézé

Douves du château de Brézé

Dépendance du château de Brézé.

Dépendance du château de Brézé.

 Il y a quelques années, j’étais déjà venue dans le val de Loire, plus en amont sur le lit du fleuve, et j’avais pu découvrir les deux châteaux les plus célèbres de la Renaissance française, Chambord et Chenonceau. Eux ne sont que lumières et élévations – Chambord est solaire et mégalomane, le triomphe de François Ier et de la nouvelle ère faite architecture.

Le château de Chambord.

Le château de Chambord.

J’avais été fascinée par la puissance ésotérique qui s’en dégageait, avec son escalier à double révolution, comme une équation jetée en trois dimensions, ses tours asymétriques à profusion, ses statues et ses emblèmes fantasmatiques.

Tours asymétriques du château de Chambord.

Tours asymétriques du château de Chambord.

La salamandre y était omniprésente, et j’avais lu que cet animal à qui on prêtait la vertu de survivre aux flammes était le totem de François Ier. « Nutrisco et extinguo » : je nourris et j’éteins le feu, telle était sa devise, parant l’animal et le roi de pouvoirs cosmiques qui siéent bien au vertige de grandeur du jeune seizième siècle.

Salamandres aux murs et plafonds de Chambord.

Salamandres aux murs et plafonds de Chambord.

Mais Chenonceau m’avait plus séduite encore, alors que je l’avais vu couvert d’échafaudages, envahi par des groupes bruyants et par mauvais temps. Une atmosphère presque druidique régnait dans le « château des dames », refuge des reines contre les mauvais vents de la cour, suspendu par ses arches blanches au-dessus des lacs et des canaux.

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Jardins de Chenonceau.

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Le château de Chenonceau semble enjamber les eaux brunes.

Les hautes tours couvertes de vigne vierge étaient hantées par des nuées d’oiseaux noirs tournoyants, comme si l’esprit ambivalent de Catherine de Médicis guettait derrière les hautes croisées, et soulevait dans les airs cette ronde sans fin de plumes et de cris.

Chenonceau et ses oiseaux obstinés.

Chenonceau et ses oiseaux obstinés.

La chambre toute noire de Louise de Lorraine m’avait captivée, chambre de deuil, bardée d’épines et de douleurs. J’aurais voulu revenir à la brume, seule ou avec un cercle choisi, et écouter les murmures.

Détail doloriste de la chambre de Louise de Lorraine.

Détail doloriste de la chambre de Louise de Lorraine.

Si je suis venue cette fois passer vingt-quatre heures dans le val de Loire, c’est qu’un recueil de textes équestres de Rudolf G. Binding que j’ai traduits et commentés, « Traité d’équitation pour ma bien-aimée », a reçu le prix Pégase du Cadre Noir de Saumur  – la plus haute école d’équitation française, ce qui réjouit le cœur de la cavalière que je suis.

Remise du prix Pégase, au Cadre Noir de Saumur. Elle fut suivie d'un spectacle enchanteur, mais que je n'ai malheureusement pas pu photographier.

Remise du prix Pégase, au Cadre Noir de Saumur. Elle fut suivie d’un spectacle enchanteur, mais que je n’ai malheureusement pas pu photographier.

Le Cadre Noir, avec ses écuyers de noir vêtus, ses sauteurs, ses cabrioles, ses rituels, perpétue la fine fleur de l’art équestre français depuis des siècles ; le soir, dans le grand manège illuminé par des candélabres, se poursuit un élégant carrousel entamé au temps de Pluvinel. C’est un bal des fantômes qui reprennent vie – dans le val de Loire, le passé est vivant, tangible, et c’est ce qui me touche infiniment, cette coexistence des mondes et des époques que les brumes réunissent. Cette vallée qu’on appelait « vallée des rois » est aussi celle des esprits, princesses amoureuses, poètes exaltés et chevaux attentifs. Au fond de la Loire bat un cœur très ancien.

Bords de Loire, entre Angers et Saumur

Bords de Loire, entre Angers et Saumur

Pour en savoir plus sur la vallée des rois et ses châteaux : http://www.leschateauxdelaloire.org/

La ravissante mairie du village de Rosiers-sur-Loire

La ravissante mairie du village de Rosiers-sur-Loire

 

Chenonceau, verdure, ailes et secrets.

Chenonceau, verdure, ailes et secrets.

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