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20 janvier 2016    /    

La vallée du Chianti, au coeur de la Toscane-

Promenade romantique dans la vallée du Chianti, au sud de Florence : voici la Toscane des cartes postales, les collines d’aquarelle et les cyprès comme de longs pinceaux noirs. Halte à San Gimignano, sans doute la citadelle médiévale la plus célèbre d’Italie, à Sienne la somptueuse, et à Greve in Chianti, au milieu des vignobles.

Merveilleuse Toscane.

Merveilleuse Toscane.

Cet article s’inscrit dans une série consacrée à un voyage en amoureux en Toscane. Voir la première partie, Pise, et la deuxième, Florence.

Nous nous sommes éloignés des rives de l’Arno, de l’éclatante splendeur Renaissance de Florence, et nous roulons maintenant dans le Chianti sous un ciel d’orage. Nous sommes au cœur de ces paysages qui ont inspiré à des générations de peintres une ardente nostalgie et mille toiles changeantes : à perte de vue, des courbes floues comme des vagues esquissées à l’aquarelle, mille vedute idylliques qu’on voudrait immortaliser à chaque virage. Les collines ploient sous les cyprès et les vignes comme des hydres asservies que la lumière ceint d’or et d’anthracite. Nous remontons le temps. Nous retournons au Moyen-Âge.

Paysage toscan.

Paysage toscan.

Au sommet d’une colline, les hautes tours de San Gimignano dessinent une skyline inattendue : au beau milieu de la Toscane, on jurerait soudain voir un Manhattan médiéval.

Vue sur les tours de San Gimignano, à travers les cyprès et les oliviers.

Vue sur les tours de San Gimignano, à travers les cyprès et les oliviers.

San Gimignano est le chef d’œuvre de la féodalité. C’est le Moyen Âge florissant. Les âges sombres des premiers siècles se sont depuis longtemps dissipés, l’Europe a quitté cette longue ère où les mondes semblaient se dissoudre dans le chaos, où chaque nuit qui venait pouvait disjoindre les pierres, où les raids et les invasions rythmaient une vie de bête traquée, qui changeaient le continent en une plaie perpétuellement ravinée. Les arts, les cathédrales et la littérature éclosent. Mais la guerre rôde toujours, et les villes continuent de se recroqueviller derrière les murailles.

Cyprès d'encre, idylle toscane.

Cyprès d’encre, idylle toscane, San Gimignano au loin.

Au château de Brézé, dans le val de Loire, j’avais vu un château qui avait choisi de se terrer sous terre pour lutter contre l’ennemi, de créer un dédale souterrain de galeries et de machines de guerre enterrées. San Gimignano a choisi l’inverse : de bâtir un refuge dans les airs, de s’élever au-dessus de la menace. San Gimignano, c’est la féodalité resplendissante.

Trois des tours de San Gimignano.

Trois des tours de San Gimignano.

 

Atmosphère médiévale.

Atmosphère médiévale.

Il faut du temps, et la confiance en l’avenir, pour édifier des tours aussi hautes. C’est l’heure de la première Renaissance, la médiévale. Le temps des troubadours provençaux, le temps de Pétrarque, la délicatesse et la foi qui fleurissent à l’ombre des murs épais. San Gimignano a compté jusqu’à soixante-douze tours, un nid de seigneurs arrogants et soucieux d’inscrire leur puissance dans les cieux. Il en reste quinze, et c’est une vision magique qui se dévoile au détour des collines, entre les conifères. Arpenter les rues du village est une promenade dans un monde depuis longtemps enfoui.

Ruelles de San Gimignano.

Ruelles de San Gimignano.

 

Parvis de l'église.

Parvis de l’église.

 

Panorama toscan depuis San Gimignano.

Panorama toscan depuis San Gimignano.

Nous continuons vers Sienne, l’autre perle de Toscane, l’éternelle rivale de Florence. Sienne la médiévale, contre Florence Renaissance. Sienne qui ressemble si peu à Florence.

Sienne.

Sienne.

C’est la ville du Moyen-Âge par excellence, organisée autour d’une place qui ne ressemble à rien que je connaisse : cette Piazza del Campo est concave comme un amphithéâtre, creuse en son centre, bardée de hauts murs et d’un hôtel de ville aux airs de forteresse.

Piazza del Campo de Sienne, l'hôtel de ville.

Piazza del Campo de Sienne, l’hôtel de ville.

 

Place centrale de Sienne.

Place centrale de Sienne.

Chaque quartier arbore des drapeaux aux couleurs de son blason, comme dans un film de chevaliers. Les petites rues minuscules sont tellement italiennes, vélos et scooters y grouillent car aucune voiture ne passe, et décorées comme un jour de tournoi. Deux fois par an, les dix-sept quartiers s’affrontent dans une terrible course hippique à cru, sur la place principale : le Palio de Sienne. C’est un redoutable massacre, qui tue chevaux (et cavaliers) avec une régularité effarante. Tonnerre de sabots sur le pavé, virages serrés, corps entremêlés, membres brisés, écrasés. Le cheval peut gagner sans cavalier, tant qu’il franchit la ligne d’arrivée le premier, mais il faut que la couronne aux couleurs de son quartier soit restée fixée sur son chanfrein pour que la victoire lui revienne. C’est un rite sanglant, dans une atmosphère clanique, presque mafieuse. Je lis le prix effarant – plusieurs dizaines de milliers d’euros – de ces chevaux qu’on envoie à l’échafaud.

Rues pavoisées de Sienne.

Rues pavoisées de Sienne.

La cathédrale de Sienne, Santa Maria Assunta, est l’une des plus belles que j’ai vues de ma vie, avec sa façade éblouissante, si différente du gothique français plus torturé, avec ses arches de marbre bicolore. La voûte de son dôme imite un ciel étoilé et son pavé présente une singularité que je n’ai vue nulle part ailleurs : des gravures à même le sol, partout dans l’église, sculptées selon la technique du graffito, mêlant sujets profanes et religieux, antiquité et christianisme, comme ce Socrate, parangon des vertus grecques, ou comme ces sibylles prophétisant la venue du Christ. La cathédrale contient la bibliothèque de Pie II, pape hors normes du Quatrocento, humaniste friand de livres, auteur d’une autobiographie et de contes érotiques.

Duomo de Sienne.

Duomo de Sienne.

 

Cathédrale.

Cathédrale.

 

Technique du graffito au sol de la cathédrale.

Technique du graffito au sol de la cathédrale.

 

Je commence à mieux comprendre ce que j’avais pressenti à Pise et à Florence, au début de cette escapade en Toscane. Pise, Florence, Sienne, ce sont au Moyen-Âge trois « communes » ou villes d’empire, jouissant de droits et de prérogatives propres, à la puissance rivale et à l’économie florissante. Ce sont trois villes libres et étincelantes, qui ont mieux que personne instrumentalisé la religion à des fins politiques, à l’image de ces Médicis débauchés qui donnent au monde trois papes. Elles révèlent au monde avec impudence ce qui a ulcéré Luther : le christianisme triomphant de la fin du Moyen-Âge est une création politique italienne (tout comme le luthéranisme est une réaction politique allemande). Je me sens étrangère à l’un comme à l’autre. Sans doute suis-je culturellement chrétienne, mais profondément aconfessionnelle. Je crois que je voudrais un christianisme hors sol, sans attache aucune, sans aucune structure temporelle, un christianisme absolument dénué de toute conception politique et morale, une religion de la métaphysique pure. Un apolitisme mystique transcendant. Mais pourrais-je vraiment renoncer aux cathédrales ?

Statue de Sallustio Bandini, homme politique et ecclésiastique.

Statue de Sallustio Bandini, homme politique et ecclésiastique.

 

Piazza del Campo de Sienne.

Piazza del Campo de Sienne.

Sienne, au coeur de la Toscane

Sienne, au coeur de la Toscane. Drapeaux annonçant le Palio. 

 

Gelati, glaces italiennes, dans les rues de Sienne. Un ami italien me dit que ce ne sont pas les vraies, que ces montagnes sont des attrape-touristes. Allez savoir.

Gelati, glaces italiennes, dans les rues de Sienne. Un ami italien me dit que ce ne sont pas les vraies, que ces montagnes sont des attrape-touristes. Allez savoir.

Le crépuscule me ferait pleurer de ne pas savoir peindre. Voici la Toscane éblouissante, la terre promise des rêveurs, des artistes et des amoureux.

Coucher de soleil bucolique en Italie.

Coucher de soleil bucolique en Italie.

Nous passons la soirée au cœur du Chianti. C’est la fête du vin à Greve in Chianti, le cœur vigneron de la Toscane. Nous assistons à une fanfare approximative et à un défilé de gens heureux un peu bourrés.

Fête des vignerons à Greve in Chianti.

Fête des vignerons à Greve in Chianti.

Tous les restaurants de Greve sont bondés, on nous conseille une auberge au milieu des collines, alors nous sommes partis pour vingt-cinq minutes de piste défoncée dans l’obscurité la plus dense. Pas un lampadaire, pas un village, pas une voiture.  Légèrement angoissés, nous commençons à nous demander si on ne nous a pas envoyés à l’Auberge rouge des cannibales. Nous arrivons finalement au lieu en question, mais un mariage bat son plein, lampions aux treilles et flaques de vomi violet dans les buissons, le restaurant est plein. Quand nous revenons sur les hauteurs de Greve, il est 22h, et une table s’est miraculeusement libérée. Nous mangeons le meilleur repas italien de notre vie, burrata et truffes comme s’il en pleuvait, desserts recouverts par des marées de fruits rouges, au milieu d’Italiens exubérants.

Dîner à Greve in Chianti, au coeur de la Toscane.

Dîner à Greve in Chianti, au coeur de la Toscane.

Depuis le début de ce voyage, c’est la première fois que j’ai l’impression de toucher à la Toscane authentique, à la vie derrière la carte postale. « Connais-tu le pays où fleurissent les citronniers ? », demandait Goethe. Maintenant, peut-être que oui, peut-être avons-nous pu lever un petit coin du voile. Nous prolongeons ce moment en silence, seuls à deux dans la nuit italienne. « Là-bas, mon ami, c’est là-bas qu’il nous faut aller. » Ou revenir.

Site officiel du tourisme dans le Chianti et le pays de Sienne

Dernières lueurs.

Dernières lueurs.

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